L’Agence française du médicament a annoncé le 25 juin le retrait dans l’année des médicaments contenant du dextropropoxyphène, comme le Di-Antalvic ® ou le Propofan ®. Uniquement disponibles sur prescription, ces produits étaient jusqu’à présent utilisés en cas de douleurs modérées à sévères. Pourquoi ce retrait ? Quelles sont les alternatives en cas de douleur aiguë ou chronique ?
Depuis 1964, les médecins prescrivent du Di-Antalvic aux Français pour traiter la douleur, notamment lorsque le paracétamol seul leur paraît insuffisant. Cette alternative aux anti-inflammatoires et aux antalgiques plus puissants va donc être supprimée dans tous les pays européens. Comment les prescripteurs vont-ils pouvoir s’organiser pour pallier à ce retrait ? Cette décision ne risque-t-elle pas de bouleverser de nombreuses habitudes ?
En effet, qui n’a jamais pris de Di-Antalvic ®, par exemple après une intervention dentaire ou chirurgicale, ou encore en cas de douleurs chroniques persistantes malgré la prise de paracétamol ou d’aspirine ? Selon l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (1), ce ne sont pas moins de 70 millions de boîtes de spécialités contenant du dextropropoxyphène qui ont été prescrites en 2008 en France, ce qui représente…. 240 millions de jours de traitement !
Une efficacité probable mais très peu démontrée
Mais après 45 années de “large“ distribution, l’efficacité de l’association Dextropropoxyphène/paracétamol n’a été que très peu évaluée par les chercheurs ou les laboratoires qui la commercialisent. Alors que les douleurs au long cours sont un motif majeur de prescription de ce médicament, il n’y a pas d’étude scientifique rigoureuse évaluant son intérêt dans les douleurs chroniques par rapport au paracétamol seul. Cette absence de preuve scientifique probante et des effets secondaires avérés constituent les arguments phares des partisans d’un retrait de ces médicaments, comme la revue Prescrire depuis plusieurs années (2).
A l’inverse, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) justifie “un avis divergent“ concernant ce retrait, mentionnant notamment une efficacité “reconnue par la pratique clinique, les professionnels de santé et les patients utilisant ce médicament de longue date“.
Pourquoi cette démarche de retrait aujourd’hui ?
Suite au constat de plusieurs dizaines de décès en Angleterre et en Suède par intoxication, volontaire ou non, l’Agence européenne d’évaluation des médicaments (EMEA) a émis un avis défavorable au maintien sur le marché des médicaments avec du dextropropoxyphène (soit une trentaine de médicaments, cf. liste ci-dessous). Cette institution considère que “les preuves d’efficacité thérapeutique sont insuffisantes au regard du risque de décès, en cas de surdosage accidentel ou volontaire“ et affirme “qu’aucune mesure complémentaire permettant de minimiser le risque ne pourrait être suffisante pour éviter les conséquences graves d’un surdosage“ (1).
L’Afssaps n’approuve là encore pas cette décision applicable à l’ensemble de l’Europe, soulignant “des pratiques différentes en France dans le choix des médicaments en cas d’intoxication médicamenteuse volontaire, mais aussi dans le mode de conditionnement de ces produits et leurs conditions de délivrance“ (3). Notons par exemple que parmi les causes d’intoxication volontaire, figurent en meilleure place les benzodiazépines, aux effets secondaires connus. Des spécialités qui ne font pas l’objet de mesures de retrait…
Face à cette décision européenne essentiellement motivée par des risques d’intoxications, l’Afssaps “estime à ce stade que l’impact d’un retrait sur la santé publique est très incertain dans le contexte français“.
Les conséquences du retrait déjà évaluées en France
Quelles pourraient être les conséquences du retrait de ce médicament ? On dispose de quelques éléments de réflexion. A l’hôpital Paule de Viguier (Toulouse), le Di-Antalvic et ses génériques ont été retirés des prescriptions depuis juin 2005. Une première évaluation de cette décision (4) a permis de comparer la consommation d’autres antalgiques avant et après ce retrait. Résultat : la consommation d’antalgiques de niveau 1 (comme le paracétamol) a augmenté de 11 %, tandis que celle d’antidouleurs de niveau 2 (comme le Di-Antalvic ®, le Propofan ®, le tramadol et l’association paracétamol + codéïne) a diminué de 28 %. La prise totale d’antalgiques a également diminué de 4,6 % en 2006 par rapport à celle de 2004.
Click Here: New Zealand rugby storeSelon les auteurs, ces résultats montrent que ce retrait n’entraîne pas une surconsommation des autres antalgiques et pousse à “s’interroger sur un possible mésusage du dextropropoxyphène“.
Demain, quels antalgiques prendre ?
Nous sommes donc en présence d’un médicament largement prescrit et connu des patients, mais dont l’efficacité supérieure au paracétamol seul n’est pas scientifiquement démontrée, à l’inverse de ses effets secondaires et de sa toxicité en cas d’ingestion massive. Mais les autres médicaments de la même classe (antalgique niveau 2) ayant également des effets secondaires marqués, comment vont faire les prescripteurs pour répondre à la demande des patients ? Et en particulier à ceux qui sont habitués à ce médicament ?
Pour y répondre, l’Afssaps met en place un “groupe d’experts chargé d’émettre de nouvelles recommandations sur la douleur“ (1). De leur côté, les médecins sont invités à ne plus prescrire cette association à de nouveaux patients et à “envisager les alternatives thérapeutiques les plus adaptées aux patients actuellement traités par cette association“ (1).
Le retrait n’étant pas immédiat, vous pouvez bien sûr continuer à prendre votre éventuel traitement en cours et, lors du renouvellement ou d’une prochaine consultation, discuter avec votre médecin sur la manière dont votre prise en charge va évoluer (le paracétamol seul a également une efficacité démontrée et de nombreuses autres associations et options thérapeutiques existent).
Comme le montre la position embarrassée de l’Afssaps (opposée à l’interdiction mais qui va mettre en oeuvre cette décision européenne), il est parfois difficile de concilier des vérités scientifiques à la réalité des pratiques. Néanmoins le corps médical dispose d’autres médicaments pour vous aider à moins souffrir de vos douleurs. Les nouvelles recommandations (paracétamol seul, autres combinaisons…) devraient rapidement clarifier les alternatives thérapeutiques.
Dr Jean-Philippe Rivière
Sources :
1. Médicaments contenant l’association dextropropoxyphene/paracetamol : recommandation de l’EMEA de retrait de ces médicaments à la suite de l’évaluation européenne et avis divergent de l’Afssaps, 25 juin 2009.2. Prescrire Rédaction “Dextropropoxyphène : encore des décès !“ Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 274.3. Retrait progressif de l’association dextropropoxyphène / paracétamol, communiqué de l’Afssaps, 25 juin 20094. Dextropropoxyphene withdrawal from a French university hospital: impact on analgesic drug consumption. Gaubert S et coll., Fundam Clin Pharmacol. 2009 Mar 9. 5. Liste des spécialités contenant l’association Dextropropoxyphène / Paracétamol, 25 juin 2009.