Les sénateurs français viennent de voter un nouvel amendement rétablissant la restriction des possibilités de séjour pour soins pour les étrangers malades non régularisés résidant en France. Un vote qui scandalise les associations des droits des patients.
Un amendement voté, puis retiré, puis rétabli, puis substitué…
Retour sur la chronologie d’une disposition qui ne concernait fin 2008 que “28 000 personnes, ce qui représente 0,8 % seulement des 3 500 000 étrangers en France“,
comme l’a rappelé l’ODSE, mais qui semble importante pour la majorité au point de connaître de nombreux échanges entre les deux Chambres :
– Tout d’abord en octobre dernier,
un amendement de Thierry Mariani soumet à l’“inexistence“ d’un traitement dans le pays d’origine les conditions d’attribution pour soins d’une carte de séjour temporaire à un étranger gravement malade “résidant habituellement en France“. Cette modification est votée par les députés de la majorité UMP.
– Mais en février, les Sénateurs suppriment cette modification très contestée.
– Début mars, en deuxième lecture,
les 29 députés UMP présents rétablissent cet amendement, au grand dam des associations pour qui cette mesure apparaît “xénophobe“ (Aides) et mettra “la vie de milliers de personnes en danger“ (Médecins du Monde).
– Fin mars,
la commission des lois recommande aux sénateurs de supprimer à nouveau cet amendement en deuxième lecture.
– Enfin le 13 avril, en deuxième lecture, les sénateurs suppriment cet amendement, mais pour… le remplacer par un autre presque aussi restrictif que l’initial.
Retour au texte initial… ou presque
Le nouvel amendement rédigé par le sénateur UMP François-Noël Buffet, voté cette fois-ci par 145 sénateurs UMP et 19 centristes (
voir le détail du vote sur le site du Sénat) autorise le séjour pour soins en cas d’“absence“ du traitement concerné dans le pays d’origine, ce qui revient quasiment au même que “l’inexistence“ mentionnée dans l’amendement Mariani.
En effet, concrètement, dans quel pays du monde n’existe-t-il pas aujourd’hui un traitement antiviral, anti-tuberculeux ou anti-cancéreux ? Cependant dans de nombreux pays ces traitements ne sont pas accessibles (au moins financièrement) à une grande partie de la population.
Cette loi, si elle est définitivement entérinée puis appliquée, pourrait donc exposer à une expulsion la quasi-totalité des étrangers non régularisés vivant en France et présentant des pathologies graves (au motif que le traitement existe dans leur pays d’origine, et ce même s’il n’ont aucune chance d’y accéder). Exceptions à l’appréciation du préfet
Certes, les sénateurs ont prévu qu’en cas de “circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du directeur général de l’agence régionale de santé“, la carte de séjour temporaire pourrait être attribuée. Mais dans ce cas, quid du secret médical, comme
s’en inquiète déjà Act Up Paris ou encore
le collectif inter-associatif “Un mot, des morts“ ? Et sur quels critères précis le préfet prendra-t-il en compte une “circonstance humanitaire exceptionnelle“ pour accorder, ou non, ce droit au séjour pour soins ?
Compte tenu de la détresse de ces patients et du faible nombre de personnes concernées, qui de plus n’abusent pas de ce droit peu coûteux pour l’Etat, on ne peut que s’étonner de voir les sénateurs finalement adopter ce texte après avoir fait le choix inverse il y a deux mois.
A suivre : la commission mixte paritaireLe contexte politique actuel si particulier mérite-t-il que l’on décide froidement d’expulser une personne alors que l’on sait qu’elle mourra rapidement, faute de soins, dans son pays d’origine ? Triste illustration de ce qui pourrait se produire plus souvent si ce texte était définitivement adopté : Kanouté Tiéni, porteur d’une hépatite B chronique active, est décédé à Bamako trois ans après son expulsion faute de carte de séjour,
comme le relatait le 15 mars l’association Aides.
Mais nous n’en sommes pas encore là : les textes du Sénat et du Parlement étant différents, sur ces points et d’autres, il reviendra dans les semaines qui viennent à
la commission mixte paritaire, composée de 7 députés et 7 sénateurs, de re-proposer un texte “de conciliation“ au gouvernement et aux deux assemblées… Ce texte maintiendra-t-il le droit d’accueil sanitaire français actuel ?
Jean-Philippe Rivière
Sources :
Click Here: West Coast Eagles Guernsey
– Amendement de Jean-Noël Buffet, amendement au projet de loi sur l’immigration, 12 avril 2011,
accessible en ligne
– “Scrutin n° 194 – séance du 13 avril 2011“, détail du vote au Sénat, Senat.fr,
accessible en ligne
– “Les sénateurs UMP et centristes condamnent à morts les étrangErEs malades“, Act Up Paris, 14 avril 2011,
accessible en ligne
– “Expulsion des étrangers malades : du compromis à la compromission – CP Act Up/AIDES/Comede“, Collectif “Un mot, des morts“, 13 avril 2011,
accessible en ligne
– “Un expulsé meurt suite aux restrictions du droit au séjour pour soins“, Aides, 15 mars 2011,
accessible en ligne
Photo : François-Noël Buffet, senat.fr